Le grand cadi de Mayotte Mohamed Hachim répond aux questions de Julien Perrot, journaliste à l’hebdomadaire Mayotte Hebdo, sur la départementalisation
Q: Comment devient on Grand Cadi ?
R: Seul les Cadis peuvent devenir Grand Cadi.
- il faut
- 10 ans au moins d’ancienneté dans l’ancien arrêté. Actuellement, une fois titulaire on peut le devenir, après 2 ou 3 ans
- être choisi par la majorité des membres du comité ou jury composé :
- Du Grand Cadi en exercice.
- Des délégués des cadis et des délégués des secrétaires greffiers.
- Du procureur
- Du président du conseil général ou de son représentant
- Du préfet ou de son représentant
Q: quelles sont ou quelles vont être les conditions nécessaires pour devenir Cadi ?
R: les conditions nécessaires pour devenir cadi sont :
Etre âgé dé plus de 30 ans
Avoir passé un concours de recrutement avec succès
Avoir été validé par un conseil d’investiture
Je ne sais pas encore quelles vont être les conditions nécessaires pour devenir cadi, dans l’avenir.
Q: Quel est votre statut actuellement et celui de vos confrères ?
R: Le Grand Cadi et les cadis sont assimilés aux fonctionnaires de la collectivité départementale.
Nous revendiquons un statut qui assure encore mieux l’autonomie et l’indépendance de grand cadi et des cadis vis à vis des pouvoirs exécutifs et législatifs ( délibérants )
Q: Etes-vous favorable au département ?
R: Si le Département est favorable au droit local, je suis favorable au département.
Si le département n’est pas favorable au droit local, je ne suis pas favorable au département. A en juger par ce qui s’est passé sous la collectivité territoriale et surtout sous la collectivité départementale, on ne peut pas dire que la marche vers la départementalisation, soit favorable au droit local : on a vu réduire les compétences des cadis, on a vu abandonner ainsi une partie du droit local et d’autres spécificités.
On a vu introduire des lois contraires au coran donc au droit local.
On a vu supprimer l’aide aux étudiants islamiques.
On n’a pas vu créer des centres culturels islamiques.
On peut dire que tout ça c’est défavorable à notre tradition et à nos coutumes
Q: Quelles sont les affaires principales que vos tribunaux traitent actuellement ?
R : Nos tribunaux traitent de toutes les affaires des Mahorais qui s’adressent spontanément aux cadis lesquels les orientent après. En particulier ils règlent les conflits familiaux (mariages, filiation, pension, succession,…) les conflits fonciers, les conflits nés des contrats divers…A tout ça il faut ajouter la médiation, la conciliation, le notariat.
Q: Quelles sont les prérogatives que vous avez déjà perdues depuis 2001 ?
R: En théorie nous avons perdu l’état civil, l’enregistrement du mariage, la participation à la commission de l’octroi de bourse, une grosse partie du foncier…
En pratique, les Mahorais continuent à s’adresser aux cadis pour ces affaires. Et ceux ou celles qui les traitent à notre place, sont souvent obligés de les renvoyer chez nous.
Q: Êtes – vous prêt à accepter de ne plus vous occuper du statut des personnes et des droits de succession, comme le préconise la commission des lois du sénat ?
R: La question est de savoir si les Mahorais de droit local, vont cesser de soumettre leurs problèmes relatifs au statut de personnes et de droits de succession, aux cadis et au Grand Cadi, comme la préconise la commission des lois du Sénat ?
S’ils ne cessent pas de soumettre ce genre de problème aux cadis et au grand cadi, je ne serai pas prêt à accepter de ne plus m’en occuper.
En réalités les Morais qui sont assez informés de leur religion, ne cesseront pas de soumettre ce genre de problèmes aux cadis et au grand cadi, (ou à toute autre autorité de droit local faisant fonction de cadi) parce qu’ainsi, ils se conforment aux instructions de leur religion.
C’est par ignorance de leur religion que certains Mahorais musulmans, s’adressent à des autorités qui n’appliquent pas la doctrine musulmane, pour ce genre de problèmes.
Une fois au courant, ils voudront se corriger. Avec les possibilités répandues de formation et d’information, cela peu vite arriver.
Q : Pensez vous que la population est d’accord avec la fin du rôle traditionnel des tribunaux de cadis ?
R : Elle n’est pas d’accord .Sous influence et sur incitation et toujours par ignorance, elle peut être d’accord. Mais dès qu’elle se rend compte, qu’elle a ainsi tourné le dos à une instruction de sa religion, la population sincèrement musulmane voudra revenir, sur le rôle traditionnel des tribunaux de cadis .J’ajoute que le rôle traditionnel des tribunaux des cadis, peut se prêter à la modernisation, autant voir mieux que les tribunaux de droit commun, et tout en restant conforme aux règles de la religion musulmane, lesquelles règles, si elles étaient bien comprises, ont toujours été et sont toujours à la pointe des connaissances de la modernité, et de la vérité.
Q: Comment voyez vous la conciliation de la loi républicaine avec la justice cadiale ?
R: La justice cadiale est une justice divine, donc parfaite.
Les hommes qui l’exercent tendent vers cette perfection.
Tant que la conciliation de la loi républicaine ou la justice républicaine tende également vers cette perfection, elles se rejoignent.
Elles divergent dès que la loi républicaine est imparfaite. Elle l’est quand elle n’est pas conforme à la loi divine.
Autrement dit, la tradition musulmane accepte la loi chrétienne, la loi des juifs, la loi humaine tant qu’elle n’est pas contraire au coran. Dans la majorité des cas , elle n’est pas contraire .
J’ajoute que dans notre pratique, la conciliation a valeur de jugement.
Q: La justice cadiale ne consacre t-elle pas l’inégalité des sexes devant la loi ?
R: Non, pas du tout, la justice cadiale ne consacre pas l’inégalité des sexes devant la loi.
Elle consacre la différence entre l’homme et la femme, car en réalité, ils n’ont pas été créés de la même façon.
Si l’homme est supérieur à la femme en certaines matières, en d’autres il est inférieur.
De même si la femme est supérieure à l’homme en certaines matières, en d’autres elle est inférieure.
Globalement, ils sont égaux, ils sont différents, mais égaux ; il me manque des mots pour décrire la situation : ils sont équivalents.
Q: En quoi consiste votre travail de médiation et de conciliation auprès de parties en conflits ?
R: Il consiste à écouter les deux parties, à bien les écouter, de telle sorte que ne m’échappe jamais une possibilité d’arrangement à l’amiable, à proposer aux deux parties pour leur faire éviter un procès long, coûteux et inutile.
Q: Pensez vous que votre rôle de médiation est compatible avec le modèle républicain ?
R: Le modèle républicain doit- être compatible avec le modèle islamique bien compris. Islamique ou républicaine, la médiation doit conduire à la conciliation et la conciliation réussie doit avoir la force de la chose jugée.
Q: Le renoncement au droit local au profit du droit commun, vous apparaît il comme inéluctable pour que Mayotte devienne un département ?
R: Non ce n’est pas inéluctable. La preuve est que trois départements au moins ont gardé leur droit local : Haut Rhin, Bas Rhin, Moselle. Les départements d’Outre-Mer ont leurs spécificités, ainsi que les autres départements. En théorie on pourrait même dire sans se tromper qu’il y a autant de modèles de département qu’il y a de départements.
Cependant, il est vrai que dans la pratique, les hommes politiques nationaux et leurs collègues locaux ,ont une vision archaïque et figée du mot département. Ils ont tendance à uniformiser arbitrairement. Ils ne veulent pas prendre pour modèle, les départements qui ont gardé leur droit local. La raison, pour les hommes politiques nationaux, c’est la crainte de la perte de l’identité nationale ; pour les hommes politiques locaux, c’est la crainte de la perte de l’argent du département ce qui est déterminant pour eux .Ils se soucient peu de la perte de l’identité territoriale .Mais quand on a peur, on n’a pas le temps de réfléchir suffisamment. Pour moi c’est la sauvegarde de la morale islamique qui est déterminante, parce qu’elle nous a permis de vivre en paix jusqu’aujourd’hui, et elle nous permet d’espérer la paix éternelle dans cette vie et dans l’autre.
Auprès de toutes ces autorités, nous demandons le maintien de la justice musulmane, l’application et le respect du droit local à Mayotte, un statut conforme à leur rang, aux cadis et aux secrétaires greffiers.